Jeune âme égarée.
Esprit embrouillé.
Battements d'un cœur déboussolé.

Les fragments de tes souvenirs parsemaient ton existence de regrets et de pensées inachevées. Il t'arrivait de te dissocier de la réalité, que ton esprit rejoigne la lune et qu'il s'abandonne, qu'il t'abandonne.
Et parfois il te revenait avec des idées farfelues, ponctuation d'une anxiété que tu ne contrôlais pas ; le désir de bien faire, l'envie d'être irréprochable. Le souhait du bonheur que tu espérais pour tes Pokémons.
Tu ne le voulais point éphémère.
Et cette coquille qui te suivait depuis un moment ne semblait pas vouloir s'ouvrir au monde. Tes mains tremblaient. Et si tu étais incapable de rendre la vie à un Pokémon endormi dans son cocon ?
Et si...
Il n'était pas heureux par ta faute.
La panique et le désespoir t'envahissaient. Tu n'étais pas comme elle. Tu n'étais pas comme eux. Le bonheur, tu voulais lui donner un sens, le bien-être de tes Pokémons était une priorité.

Après quelques recherches sur internet, tu avais compris que les Sabelettes originaires d'Alola étaient friands de froid, de températures ne dépassant pas le zéro degré. Tu le savais déjà, mais tu étais mitigée. Un œuf de Pokémon n'avait-il pas besoin de chaleur ? Peut-être que cette espèce nécessitait les deux ?
Tu avais peur.
Tu avais voulu appeler Lys pour qu'elle t'éclaire, qu'elle sache te montrer la bonne décision à prendre. Qu'elle soit là pour toi alors que tu étais perdue.
Mais tu n'avais pas eu le courage.
Et si elle comprenait que tu n'étais qu'une bonne à rien ? Et si elle allait commencer à se lasser de tes questions incessantes ?
(Elle n'était pas comme ça.)
(Mais tu tenais trop à elle pour que tes pensées soient rationnelles.)

Plutôt que de réfléchir de façon logique, tu avais pris la route vers l'un des endroits les plus froids de Lumiris... le volcan Eneka.
Un volcan envahi par la glace et les séquelles des événements passés. Un lieu avec des histoires. Trop d'histoires.
Tu n'avais pas réalisé l'erreur que tu étais en train de commettre. Qu'attendais-tu de ton expédition ? Toi qui n'avais encore jamais mis les pieds près de cette montagne ? Toi qui ne connaissais rien de Windoria, parce que tu n'avais eu que peu l'occasion d'y mettre les pieds ? Tu étais naïve. Et ton obsession à vouloir le bien autour de toi allait causer ta perte.

Tu t'y étais rendue sans trop te questionner sur la direction à prendre. Cela ne prit que quelques minutes pour que tu te sentes égarée, et qu'à nouveau, la panique s'empare de toi. Tu avais les larmes aux yeux. Partir sur un coup de tête parce que tu avais peur de mal faire était sans doute la meilleure façon de réellement mal faire.
Tu devais apprendre à contrôler ton impulsivité. Tu devais apprendre à contrôler ton syndrome du sauveur.

Mais en attendant, Pervenche et Iara étaient là pour te rassurer. C'était sans doute tes deux seuls compagnons qui pouvaient supporter le froid quasi hivernal. Leur présence t'apaisait, elle te permettait de ne pas flancher. Elle te permettait de réfléchir un tant soit peu.
Tu avais alors pris ton téléphone ; tu avais besoin d'aide. Tu avais appuyé sur le premier numéro de téléphone que tu avais vu ; il s'agissait de celui de Lestat.
Tu étais heureuse qu'il ne s'agisse pas de Lys ou de Naal. Tu ne voulais pas les inquiéter. Ils n'avaient pas besoin de ça.

« Lestat...? Je suis au volcan Eneka... j'ai perdu mon chemin... Je vois que du blanc... c'est flou... Tout est flou... »

Tu ne savais même pas si c'était lui ou Madelyn qui avait répondu. Les deux habitaient ensemble, alors il n'était pas impossible que l'un prenne l'appel de l'autre.
Tu n'entendais plus rien.
Tu semblais pouvoir t'écrouler dans la neige à tout moment.
Le neige brillait. D'un blanc pur et aveuglant. Elle brillait comme les perles dans tes yeux.

Tout était flou.
Tu ne savais pas s'il s'agissait du stress, du froid, de ta narcolepsie qui décidait de faire des siennes au pire moment, ou toutes ces réponses, mais tu n'allais pas t'en sortir ainsi. Tu entendais la voix de Maddy à l'autre bout du fil. C'était bien Maddy, hein ?
Ce n'était pas Lestat.
Lestat n'avait pas cette voix. Et tu t'attendais à recevoir une réponse de la part de ton amie, c'était commun. Tu souriais, tes yeux s'inondaient ; tu avais peur et tu espérais que tes... explications, si on pouvait les appeler comme tels, étaient compréhensibles.
Tu l'espérais, parce que tu ne pouvais rien faire d'autre.
L'appel s'était terminé et tu avais cru comprendre que tu ne pouvais pas t'endormir. Ce n'était pas dans tes projets, mais ton corps menaçait de flancher. De s'écrouler. De s'abandonner sur le tapis blanc. Genoux au sol, tu essayais de respirer. Calmement... tu essayais. Tu essayais encore.
Ton oeuf était à moitié sorti de ton sac, et tu t'étais recroquevillée afin de le prendre dans tes bras. Qu'il apprécie la température hivernale ou pas, un oeuf ne devait pas se retrouver dans la neige. Tu le serrais contre toi. Tu le protégeais en dépit de ta propre personne ; tu te sacrifiais pour lui. Ton corps deviendrait rouge mais ton futur Pokémon irait bien.

Le flou s'intensifiait.

Tu ne savais pas combien de temps tu étais restée là, immobile, paralysée dans le froid. Tu attendais ; tu avais essayé de te relever, mais tu en étais incapable. Tu pouvais voir Pervenche s'affoler autour de toi, tenter de te pousser avec ses pattes duveteuses, pendant que Iara s'allongeait dans la neige tout autour de toi ; il faisait des étoiles de neige.
(Il tentait d'envoyer un signal d'alerte... du mieux qu'il le pouvait. Ses solutions étaient souvent étranges, voir farfelues. Mais il essayait.)

Tes yeux se fermaient, quand bien même tu tentais de les garder ouverts. Puis du noir.

Ta tête tourbillonnait, puis, une voix t'avait fait reprendre conscience bien que ça ne se voyait pas physiquement. Après t'être fait secouer à plusieurs reprises, autant par Madelyn que par Pervenche, tes globes oculaires avaient retrouvés la réalité. Une réalité embrouillée, mais c'était toujours mieux que le néant.

« Mad... dy... »

Ton oeuf était toujours contre ton torse. Tu ne l'avais pas lâché malgré ta condition. Il était toujours prêt de toi, et il n'allait pas te quitter.
Iara faisait toujours des étoiles de neige, n'ayant visiblement pas remarqué la présence de tes deux amis. Tes cils battaient comme les ailes d'un papillon avant de laisser place à des perles humides ; la pression se relâchait. Elle te laissait prendre conscience de tes émotions. Si tu n'avais appelé personne, aurais-tu survécu à ton aventure insensée ?

« Je suis désolée. Je suis désolée. Je ne voulais pas... J'ai été stupide... »

Tout ça pour un oeuf qui voulait prendre son temps avant d'éclore.
Tu aurais dû appeler Lys.
Elle t'aurait peut-être trouvé agaçante, mais au moins, tu ne serais pas aux portes de la mort.
Ciara n'était pas encore prête à t'accueillir parmi les étoiles.

« Je vous ai inquiété et je vous oblige à venir ici, dans le froid... Je... Je ne sais pas ce que je serais devenue si vous n'étiez pas venu jusqu'à moi. Merci... Je suis désolée. »

Tes sentiments s'improvisaient une valse au rythme de la honte, la reconnaissance et la culpabilité. Tu voulais disparaître. Tu aurais fait la même chose à leur place ; tu n'aurais même pas réfléchi, tu te serais précipitée vers leur localisation afin de leur venir en aide. Ils étaient tes amis. Et pourtant, tu ne pouvais t'empêcher de te sentir comme une plaie. Parce que c'était toi, et toi seule, qui t'étais mise dans cette situation foireuse. Parce que tu avais mal réfléchi, et que malgré toutes tes bonnes intentions, tu t'étais mise en danger.
Peut-être qu'un jour, avec cette accumulation de mauvaises expériences, tu allais finir par grandir. Peut-être qu'un jour, Helia, tu allais apprendre.

En attendant, tout ce que tu avais trouvé à faire, c'était de te morfondre dans les bras de ton amie aux cheveux de blé. Parce que tu avais besoin de cette proximité. Tu avais besoin d'être rassurée ; de t'assurer que tout allait bien aller, maintenant. Tu voulais t'assurer que ce paysage enneigé était toujours ce fameux volcan Eneka, et que tu n'étais pas arrivée au Paradis. Tu ne pouvais pas te le permettre, pas encore.

Mais irais-tu réellement au Paradis, Helia ?

Des voix.
Des voix et du flou. Beaucoup de flou. Du froid, aussi. Le froid s'intensifiait, tes doigts étaient gelés ; tu n'arrivais plus à les bouger. Ta respiration était saccadée, tu n'avais plus de mots à part désolée.
Désolée d'être aussi irréfléchie ; désolée d'être aussi sotte ; désolée d'être un fardau.
Désolée d'exister.

Les voix de tes amis te réconfortaient. Tu ne lâchais pas l'œuf de Nigelle, tu te cramponnais à la coquille pour éviter qu'elle ne roule et qu'elle s'égare. Tu ne voulais pas le perdre. Tu ne savais même pas si la froideur hivernale lui avait été bénéfique. Tu ne savais pas si le fait de goûter à la température de son environnement avait pu aider à ce qu'il veule sortir de son cocon chaud. Tu espérais. Tu ne voulais pas frôler la mort en vain. Tu ne voulais pas perdre la tête pour rien.

Tu suivais, tu essayais de tracer ton chemin hors de la montagne à leurs côtés, les paroles qu'ils essayaient de te transmettre paraissaient presque inaudibles. Tu suivais et tu acquiescais ; tu étais au summum de ta vulnérabilité. Tes oreilles étaient gelées ; ton corps menaçait de flancher et de partir au vent. Tu avançais. Machinalement. Tu répétais encore une fois que tu étais désolée.
Ils s'inquiétaient pour toi - tu n'avais pas l'habitude. Mais tu savais que tu pouvais avoir confiance en Lestat et Maddy. Tu le sentais, au fond de toi ; tu chérissais ce sentiment, tu t'y accrochais aussi fort que tes bras frêles pouvaient s'accrocher à ton futur Sabelette.

Il y avait cette auberge, un abri pour la nuit ; un endroit pour te réchauffer. Pour vous réchauffer. Tu voyais tes amis trembler de froid et ça te faisait culpabiliser. Si au moins tu étais la seule à subir le froid glacial, si seulement. Mais la nature n'était pas clémente, et elle ne faisait pas d'exception. Elle n'avait pas de préférences.
Vous aviez franchi la porte et le changement radical de température te donnait cette impression de brûlure. Tes doigts semblaient fondre et ton corps piquait. Mais tu savais que c'était éphémère. Bientôt, tu te sentirais mieux. Sans réfléchir, tu avais étreint la silhouette à la chevelure blonde. Tu lui avais murmuré un merci avant de te rendre à la salle de bain, aidée par Pervenche et par Iara qui marchaient près de toi. Tes Pokémons n'étaient pas bien grands, mais ils étaient loyaux. Tu avais aussi apporté l'oeuf de Nigelle que Maddy avait enveloppée de son écharpe chaude et douce.

« J'espère que le froid t'aura au moins aidé, toi. » Avais-tu murmuré à ton bébé avant de sentir l'eau chaude te revigorer. Tu n'allais pas rejoindre l'au-dela aujourd'hui, Helia.

Tu avais bien failli t'endormir dans le bain, ceci dit. Tu ne rejoignais pas l'au-dela, mais l'eau-dela n'était pas non plus la meilleure des destinations ; alors en te sentant partir, tu étais rapidement ressortie de la baignoire avant d'enfiler les vêtements prêtés par le chalet - ils étaient clairement trop grands pour toi, mais au moins, tu avais de quoi t'habiller. La serviette de bain fermement enroulée sur ta chevelure bleue, tu étais sortie de la salle de bain et tu avais rejoins tes deux amis.

« Je me sens mieux, merci... J'espère que vous allez bien, vous ? Je me sentirais coupable que attrapiez un rhume par ma faute... » Tu avais repris tes esprits pour de bon, et tu pouvais parler franchement, sans bégaiements, sans murmurer du charabia. « Encore une fois... je suis désolée. Je voulais rejoindre un endroit où la température plairait à mon Sabelette d'Alola, qui se trouve dans cet œuf. Je ne pensais pas que... ça se terminerait... ainsi. »

Tu voulais seulement l'aider à éclore. Tu n'avais aucune mauvaise intention. Mais tes bonnes intentions, encore une fois, étaient irréfléchies et menaçaient de te mener à ta perte. Tu ne pouvais vivre une aventure sans qu'elle ne soit semée d'embûches et de dangers.

« Il n'y a qu'un lit... ? Si vous préférez, je peux dormir sur le sol avec des couvertures et des coussins. C'est de ma faute si vous vous êtes déplacés, je ne veux pas vous priver du peu de confort disponible. »

Le lit était grand, mais tes terreurs nocturnes les réveilleraient et tu ne voulais pas t'imposer, ils méritaient de bien dormir. Alors que toi, Helia, tu avais l'habitude de ne pas passer des nuits convenables. Peu importe la surface sur lequel ton corps reposait.
Tu étais maudite et dès le sommeil entamé, les cauchemars venaient te hanter. Tu espérais qu'au moins, pour cette nuit, tu n'allais pas trop souvent te réveiller. Juste pour cette nuit...

L'inquiétude qui habitait tes deux amis envers toi te paraissait presque irréelle. Tu n'arrivais pas à prendre conscience de cette sincérité, comme si tu ne le méritais pas. Tu t'y accrochais comme s'il s'agissait d'un rêve éphémère, et que tu allais bientôt te réveiller. Mais tu ne dormais jamais suffisamment bien pour faire d'aussi beaux rêves – beaux rêves, tout était relatif, tu avais tout de même failli y passer dans cette montagne couverte de neige. Mais tu avais survécu. Une nouvelle fois.
Les étoiles ne te voulaient pas parmi elles. Pas pour le moment.
Tes retrouvailles avec Ciara devront attendre.

« ... Merci. Merci beaucoup. »

Tu t'efforçais de ne pas t'excuser pour la énième fois – mais tu allais les lasser, si tu continuais. Tu souriais doucement, tout en entrelaçant de tes doigts plusieurs mèches de tes cheveux. Madelyn voulait que tu dormes dans le lit avec elle... mais Lestat ?
Tu ne voulais pas priver Lestat de son confort. Et puis toi, Helia, tu avais l'habitude de manquer de sommeil, c'était ton quotidien – tu dormais mal, tu faisais des cauchemars, tu te réveillais constamment. Souvent, tes réveils n'étaient pas silencieux, et tu avais peur que tes amis en soient témoins. Tu observais le sol, honteuse.

« Je... Je vais être honnête avec vous. Je souffre de terreurs nocturnes et d'insomnie pendant la nuit. Je sais, c'est un peu ironique pour quelqu'un aussi atteint de narcolepsie. »

Les troubles du sommeil, tu les collectionnais. Tu ne les comptais plus, tu pourrais apparaître dans un livre des records. Cela rendait ton sommeil très compliqué, et tu n'avais pas trouvé de véritable remède à ce jour, si ce n'était le café le jour, et de l'ASMR de pluie le soir.

« Je ne voudrais pas vous empêcher de dormir... Maddy, je risque de te déranger si je suis à côté de toi. »

Bouille attristée et yeux vitreux, tu regardais ton amie d'un regard désolé. S'ils insistaient vraiment, tu n'aurais d'autres choix que de te plier à leur demande, et tu allais faire de ton mieux pour passer une nuit décente, même si tu n'en avais pas réellement le contrôle. Mais tu culpabilisais pour Lestat. Il n'allait tout de même pas dormir par terre... ? Le millionnaire t'avait déjà confié souffrir d'insomnie lui aussi, et dormir sans confort n'allait certainement pas l'aider. Tu allais t'en vouloir s'il décidait de roupiller à même le sol. Il devait sans doute y avoir un autre moyen ? Demander un matelas supplémentaire par exemple ? Tu allais regarder tes options tout à l'heure. Un peu comme le duo, tu commençais à avoir faim, toi aussi. Il en valait de même pour Pervenche. Quant à Iara... Iara, il surveillait ton oeuf, les deux étaient enveloppés dans la même couverture. Ça te faisait sourire.

« Je meurs de faim aussi ! Les émotions creusent l'appétit. Je vois qu'ils offrent des makis de printemps... je pense partir là dessus, c'est léger mais assez nourrissant pour moi. Je prendrai aussi de l'eau vitaminée ! »

Et bien, tu mangeais santé ce soir, Helia. L'eau vitaminée allait te redonner de l'énergie – tu ne voulais pas boire de café avant de dormir, ce n'était pas une bonne idée.
Puis, te connaissant, tu n'allais pas toucher à l'alcool. Tu avais trop peur des effets que cela pourrait te procurer, et ce n'était définitivement pas le moment de tenter l'expérience. Quoique... cela pourrait peut-être t'aider à dormir... ?
Non, ce n'était pas une bonne idée. Tu avais un oeuf à surveiller et tu n'étais pas dans un endroit que tu connaissais, c'était trop risqué.

« Proposent-t-ils de la nourriture pour Pokémon ? Je pense que Pervenche a un petit creux, elle aussi. Je ne voudrais pas la priver de repas, la pauvre. Iara, tu veux manger quelque chose ? »

L'étoile cristalline avait jeté un regard – enfin, un joyau en ta direction, et il avait fait tournoyer ses bras comme un hélicoptère. Tu en avais conclu que sa réponse était positive. Sur quoi te basais-tu ? Sur rien – simplement ton intuition. C'était ta seule manière de comprendre Iara, et jusqu'à maintenant, ça fonctionnait plutôt bien...